Troisième poste de dépense dans le budget général de l’État (8 %) après le remboursement de la dette (18 %) et l’enseignement scolaire (11 %), la défense est un des enjeux majeurs des arbitrages budgétaires à venir. En se maintenant entre 30 et 40 milliards d’euros constants depuis 1990, les dépenses militaires ont en réalité évolué en trompe-l’œil, masquant entre autres le coût de la modernisation – financée par la réduction des formats – ainsi que la baisse continue de l’effort de défense jusqu’en 2015. La dégradation de l’environnement géopolitique, due entre autres au retour de la compétition stratégique entre États-puissance ainsi que la persistance d’une menace terroriste élevée, place aujourd’hui les décideurs français devant une alternative délicate : accepter le déclassement de son appareil de défense et la réduction de sa marge de manœuvre, ou poursuivre la remontée en puissance amorcée depuis 2015 au prix d’efforts financiers importants dans un contexte budgétaire contraint.
Une érosion dangereuse de l’outil de défense
La période d’accalmie qui a suivi la fin de la guerre froide puis la professionnalisation des forces armées, à partir de 1996, ont vu le format des armées se contracter de moitié. À mesure que des programmes majeurs tels que le char Leclerc, les frégates de défense aérienne ou multi-missions et l’avion multi-rôle Rafale sont entrés en service, les volumes des parcs n’ont cessé de décroître. Depuis 1990, les armées ont ainsi réduit de 83 % le segment des chars lourds, de 29 % le nombre de frégates de premier rang et de 61 % le parc d’avions de combat. Cette « cure d’amincissement » forcée s’est aussi traduite sur le plan des effectifs, passés de près de 450 000 militaires en 1997 (dont 230 000 conscrits) à tout juste 200 000 aujourd’hui. Cette décrue a été marquée par le passage à la professionnalisation accompagnée d’une réduction des effectifs résultant de la Révision générale des politiques publiques mise en place par le président Sarkozy et qui a conduit à la suppression de 54 000 postes supplémentaires au cours de la Loi de programmation militaire (LPM) 2008-2014.
Des contrats opérationnels à sincériser
Alors même que les armées françaises n’ont cessé d’être engagées en opérations extérieures depuis 2001, l’érosion capacitaire qu’elles ont subie les a amenées à adapter leur dispositif pour faire face à leurs contrats opérationnels. Les deux axes ont été la mutualisation des moyens (au prix d’un surengagement des forces et d’une usure prématurée des matériels) et les économies sur le soutien (qui se sont répercutées sur la disponibilité technique des matériels, aggravant les ruptures temporaires de capacités).
Si l’actualisation de la LPM 2014-2019 après les attentats terroristes de 2015 a marqué un coup d’arrêt à la dynamique déflationniste, et que la LPM 2019-2025 a permis de stabiliser la trajectoire capacitaire en réduisant la « bosse » budgétaire accumulée par des années de sous-réalisations, la situation des armées demeure fragile. Le renforcement de leur résilience commence par la sincérisation des contrats opérationnels, qui sont certes construits pour faire face à des engagements simultanés mais avec des personnels ainsi que des stocks d’équipements et de munitions en nombre insuffisant car mutualisés entre plusieurs contrats opérationnels. Les mêmes forces peuvent ainsi être mobilisées pour conduire les opérations, assurer la protection du territoire et garantir la dissuasion.
Une remontée en puissance hypothéquée
Les années à venir sont aujourd’hui lourdes de défis budgétaires : les conséquences de la crise du Covid-19 sur le budget de l’État en général vont en effet se cumuler aux surcoûts induits par l’ajustement de la programmation militaire actuelle (nouvelles dépenses sur le spatial, le numérique et le plan famille). Ces dépenses excédentaires renforcent les incertitudes existantes dans la LPM 2019-2025 sur la trajectoire au-delà de 2023. C’est en effet sur cette période que porte l’effort principal permettant de consolider le modèle d’armée avec des marches annuelles de 3 milliards d’euros, qui semblaient déjà ambitieuses au moment du vote de la loi.
Cet investissement est pourtant indispensable dans la mesure où le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire est engagé (les besoins financiers pour assurer le renouvellement des composantes sont estimés à environ 25 milliards d’euros sur la période 2019-2023, soit 12,5 % du budget de la défense) et que des programmes majeurs comme le système de combat aérien futur, le porte-avions de nouvelle génération et la plateforme principale de combat terrestre doivent être lancés pour maintenir la supériorité opérationnelle des forces françaises à l’horizon 2035-2040 face aux menaces identifiées par l’actualisation de la revue stratégique 2021.
Des retombées financières sous-évaluées
Si le développement d’une Base industrielle et technologique de défense indépendante et performante vise avant tout à maintenir l’autonomie stratégique française, elle n’est pas pour autant dénuée de retombées socio-économiques. Les dépenses d’équipement du ministère génèrent ainsi des retours fiscaux pour l’État qui s’élèvent à 48 % à horizon de deux ans. Le renouvellement de la composante océanique de la dissuasion devrait par exemple générer à lui seul 10 000 emplois pendant vingt ans. La programmation budgétaire doit tenir compte de la création de valeur ajoutée en France et de l’impact socio-économique à long terme pour l’État et les collectivités locales. Dès lors que l’hypothèse d’un effort de défense supérieur à 2 % du produit intérieur brut doit être envisagée pour faire face simultanément au durcissement du contexte géostratégique et au renouvellement de la dissuasion, la question de la valorisation de l’investissement de défense mérite d’être considérée dans le cadre de la construction budgétaire.