La campagne présidentielle est une période à risque : celle de 2012 a été marquée par les tueries de Mohammed Merah, tandis que quelques jours avant le scrutin de 2017, le gardien de la paix Xavier Jugelé était abattu sur les Champs-Élysées. La menace terroriste demeure aujourd’hui élevée en France, même si elle n’a plus la même intensité qu’en 2015-2016. Tout indique qu’elle perdurera au cours du prochain quinquennat, mais sa forme et sa force demeurent sujets à caution.
Une menace terroriste encore vivace
Pendant le mandat d’Emmanuel Macron, le nombre de morts liés au terrorisme en France a chuté : 24 décès (de mai 2017 à janvier 2022) contre 239 sous la présidence de François Hollande. Cette baisse peut être partiellement expliquée par l’effondrement du sanctuaire syro-irakien de Daech. L’efficacité des services de renseignement est un autre facteur important. En effet, les velléités d’attaques sont toujours fortes, comme en témoignent les tentatives d’attentats déjouées. Ainsi, selon les statistiques du ministère de l’Intérieur, ce sont plus de trente projets djihadistes et une demi-douzaine d’attaques de l’ultra-droite qui ont été empêchés entre 2017 et la fin 2021.
Aucun système antiterroriste n’est toutefois infaillible. Des djihadistes réussissent sporadiquement à passer sous les écrans radar, d’autant qu’ils agissent souvent seuls, avec des moyens rudimentaires, inspirés par la propagande sur internet et sans lien opérationnel avec des commanditaires. En outre, leurs profils évoluent, ce qui complique leur détection. Jusqu’en 2019, la plupart d’entre eux étaient français, mais on constate depuis lors une augmentation significative du nombre d’étrangers (un Soudanais, un Pakistanais, un Russe d’origine tchétchène, des Tunisiens, etc.).
À quoi peut-on s’attendre ?
Le prochain président devra tenir compte du terrorisme dans sa dimension externe et interne. À l’extérieur des frontières françaises, une question récurrente depuis la chute du califat syro-irakien a trait à la relocalisation de la mouvance djihadiste et à la renaissance éventuelle d’un sanctuaire. Les régions déstabilisées où opèrent des combattants de l’État islamique ou d’Al-Qaïda sont nombreuses, du Moyen-Orient à l’Asie en passant par l’Afrique – ce continent devenant progressivement le nouvel épicentre du djihadisme.
Deux zones méritent sans doute une attention particulière. En Afghanistan, d’une part, le retour des talibans au pouvoir à l’été 2021 suscite des inquiétudes. Ce groupe annonce avoir des objectifs locaux, mais il n’a vraisemblablement pas rompu avec Al-Qaïda. En outre, il fait face à une offensive de la filiale locale de Daech (l’État islamique au Khorasan) et sa capacité à l’endiguer est loin d’être assurée. Au Sahel, d’autre part, les violences continuent à s’étendre, en dépit des éliminations successives de cadres d’organisations terroristes. L’éradication des djihadistes paraît désormais hors d’atteinte. Il s’agit davantage de parvenir à les contenir pour éviter qu’ils ne prennent le contrôle de larges pans de territoires et qu’ils ne progressent vers le Golfe de Guinée.
Au niveau intérieur, parmi les nombreux défis qui perdureront au cours des prochaines années, deux méritent d’être évoqués ici. Le premier a trait aux « revenants » de zone syro-irakienne. Il resterait environ 80 femmes et 200 enfants français dans les camps tenus par les Kurdes, sans compter les dizaines de ressortissants présents dans la poche d’Idlib. Les gouvernements successifs n’ont fait que repousser le problème en restreignant au maximum les rapatriements. Peut-être faudra-t-il, un jour, percer cet abcès. Le deuxième défi a trait aux sortants de prison. À l’automne 2021, on compte environ 450 djihadistes dans les prisons françaises contre plus de 500 en 2020. Des individus particulièrement inquiétants seront bientôt libérés et nécessiteront un suivi poussé, sachant que les services spécialisés sont déjà mobilisés par la surveillance de milliers de radicalisés.
En somme, ce n’est pas le moment de baisser la garde. Les efforts de prévention de la radicalisation doivent être poursuivis et élargis à d’autres idéologies que le salafo-djihadisme. L’ultra-droite mérite une attention particulière, car certains bréviaires de cette mouvance appellent ouvertement au passage à l’acte violent voire à la « guerre civile raciale ». Lutter contre le terrorisme revient à suivre une ligne de crête entre d’un côté la sous-estimation de la menace et, de l’autre, la surréaction. Le risque, en tombant dans l’un de ces écueils, est d’alimenter les dynamiques de fragmentation de la société et d’escalade de la violence.