La campagne électorale en France est d’ores et déjà dominée par l’invasion russe de l’Ukraine. Cette guerre que Vladimir Poutine livre à un pays voisin représente une rupture stratégique majeure en Europe et a des répercussions bien au-delà du continent. Le projet militaire initial d’une guerre éclair avec un nombre limité de victimes civils s’avère un échec. Les erreurs de calcul de Poutine sur la résistance ukrainienne, la réaction des Occidentaux et l’ampleur du soutien de sa propre population sont patentes. Cependant, le président russe choisit la fuite en avant au risque d’un embrasement au-delà de l’Ukraine et d’une possible chute de son propre régime. Que peut et doit faire la France face à des défis d’une telle ampleur ?
Persister dans l’effort diplomatique
Tout d’abord, maintenir le canal de communication avec le président russe. Emmanuel Macron a démultiplié ses efforts diplomatiques ces derniers mois, semaines et jours. Ne pas tenter de jouer ce rôle reviendrait à marginaliser d’emblée l’Union européenne (UE) et à laisser les Américains seuls à la manœuvre dans un conflit qui concerne directement l’Europe. La diplomatie de Paris a des limites et ce dialogue n’a pas porté les fruits escomptés : il a échoué à prévenir le déclenchement des hostilités et ne présage aucun signe d’inflexion chez Vladimir Poutine. Cela permet néanmoins de sonder, ne serait-ce que partiellement, ses intentions. Avec ce que l’on sait ou ce que l’on suppose de l’isolement du président russe et des informations incomplètes ou biaisées que risque de lui apporter son entourage (notamment, pour se disculper), le fait de parler directement à un leader occidental, qui peut lui faire parvenir une tout autre vérité, n’est pas à négliger. À court terme, le but premier de cet effort diplomatique est de stopper l’escalade militaire et de prévenir de nouveaux actes irréparables.
Autres actions immédiates
Au-delà des tentatives de percer la bulle dans laquelle s’est enfermé Poutine, des mesures de réassurance sont soutenues par la France à l’égard des alliés de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en Europe orientale, comme la Pologne, la Roumanie et les pays Baltes. L’aide aux réfugiés ukrainiens non seulement en France, mais en Pologne, en Moldavie et autres pays voisins de l’Ukraine appelle une action concertée au niveau de l’UE. Les entreprises françaises implantées en Russie auront à assumer des dommages : même si, à l’heure où sont écrites ces lignes (début mars 2022), aucune d’entre elles n’envisage de quitter le pays, la situation peut évoluer rapidement en cas de nouveau train de sanctions occidentales ou de contre-sanctions russes. Il est également nécessaire de sensibiliser les Français qui subiront aussi des conséquences, au minimum sur le plan économique et énergétique. Des plans de résilience sont à prévoir pour encaisser les contre-sanctions russes, notamment dans le secteur énergétique. Le tout accompagné d’une communication bien calibrée.
Se préparer à tous les scénarios
Aucune intervention militaire occidentale directe n’est envisagée à ce stade. L’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN et les Occidentaux n’ont cessé de répéter qu’ils n’enverraient pas de troupes pour soutenir l’Ukraine. Pour l’instant, l’Alliance atlantique se refuse à donner suite à la demande du président Zelenski de création d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine. La même posture de retenue militaire serait probablement maintenue en cas d’agression russe contre la Moldavie ou la Géorgie, qui, comme l’Ukraine, ne sont pas membres de l’OTAN et ont des « conflits gelés » sur leurs territoires avec la présence de troupes russes dans des enclaves sous contrôle russe. Les puissances nucléaires occidentales se gardent de répondre à la stratégie d’intimidation nucléaire de Vladimir Poutine. Plusieurs pays occidentaux fournissent désormais du matériel militaire à Kiev, ce que Moscou peut finir par considérer comme un acte de guerre (notamment, en cas de livraison d’avions), tout comme les sanctions, perçues comme dévastatrices. Un éventuel accident à la frontière polonaise par laquelle les armes arrivent en Ukraine ou encore une incursion dans les pays Baltes, membres de l’OTAN, ne sont pas à exclure. Le dilemme serait alors terrible : entrer dans une guerre d’une autre échelle contre le Kremlin avec des conséquences imprévisibles ou abandonner ces pays à un sort auquel ils cherchent à échapper depuis la chute de l’URSS. Les défenses doivent être renforcées dans les domaines cyber, informationnel ou encore spatial. Enfin, il est nécessaire d’anticiper les conséquences de la guerre en Ukraine sur d’autres théâtres régionaux, de la Syrie à l’Afrique.
Le jour d’après
La sortie de guerre est loin et le président Macron prévient que « le pire est à venir ». Néanmoins, il faut déjà anticiper les nouveaux équilibres qui résulteront de cette rupture historique. Les décisions immédiates doivent être placées d’emblée dans une perspective longue. Le temps viendra de redéfinir la relation avec la Russie, en distinguant bien Poutine et son entourage du peuple russe, lui-même pris en otage, d’aider au retour des réfugiés, de reconstruire l’Ukraine… Une nouvelle architecture de sécurité européenne devrait naître de cette épreuve tragique, qui engloberait les pays du Partenariat oriental et peut-être même ceux de l’Union économique eurasienne. Donner du corps et du sens à l’élan actuel de l’UE vers plus d’autonomie stratégique et traduire la prise de conscience des forces et des faiblesses collectives européennes en politiques volontaristes et durables, tels sont les défis vertigineux des pays européens pour créer, à long terme, une paix durable sur le continent et des garde-fous contre les répétitions tragiques de l’histoire.