La France déploie sa stratégie pour l’Indo-Pacifique depuis 2018. Puissance riveraine, elle se positionne comme un acteur responsable dans un espace géopolitique clé. Elle y défend un ordre fondé sur des règles et propose une troisième voie pour sortir de la compétition sino-américaine par une approche inclusive et multilatérale.
L’approche française semble avoir été – au moins en partie – remise en cause par l’annonce du partenariat de sécurité AUKUS entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni. L’enjeu pour le prochain président français sera de refonder la légitimité et réaffirmer l’engagement de la France dans l’IP en proposant des réponses à deux questions clés.
La France peut-elle être une puissance d’équilibre dans l’Indo-Pacifique ?
Alors que la Chine durcit sa politique extérieure et que la rivalité sino-américaine s’aggrave, prenant un tour systémique et idéologique, la France peut-elle maintenir sa posture actuelle ? La crise des sous-marins a démontré les limites de l’autonomie stratégique dans un contexte de sécurité dégradé. Les États-Unis restent un garant de sécurité incontournable et recherchent un alignement stratégique de leurs partenaires.
Pour exister dans la région, Paris devra expliciter sa position : l’autonomie stratégique est souvent interprétée comme le signe d'un engagement vacillant en Indo-Pacifique. Pour autant, l'approche ambivalente vis-à-vis de la Chine – partenaire, mais de plus en plus compétiteur et rival –, et la troisième voie portée par la France séduisent nombre d’acteurs asiatiques qui ne souhaitent pas être enfermés dans l’étau sino-américain. Pour se maintenir, cette posture doit être clairement identifiée comme un atout pour Paris : elle doit permettre l’expansion très concrète des partenariats stratégiques dans la région – y compris par des contrats d’armements – et positionner la France au sein d’un réseau de pays amis. Ce réseau doit bénéficier à l’influence diplomatique française dans la zone et aider à peser sur les décisions de la Chine, mais aussi des États-Unis pour lesquels l’évocation d’un monde multipolaire ne va pas de soi.
Pour être crédible et pérenne, cette approche doit aussi s’accompagner d’une coordination, la plus large possible, avec l’allié américain dans la région. La France doit également réfléchir à s’associer avec certaines initiatives de sécurité soft, ou de problématiques géoéconomiques comme le Quadrilatéral Dialogue qui change de nature et pourrait devenir un noyau dur autour duquel s’organisent des coopérations à géométrie variable dans l’Indo-Pacifique.
La France a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Malgré la rhétorique politique qui consacre l’Indo-Pacique comme une priorité, les ressources mobilisables dans la région restent très limitées. Les distances étant considérables, tout déploiement de moyens militaires demande un effort important. À cet égard, un point d’appui au cœur de l’Indo-Pacifique pourrait faciliter la présence française. Si la sécurité maritime est au cœur de l’Indo-Pacifique, toutes les problématiques (droit de la mer, développement durable, piraterie) ne relèvent pas nécessairement de la hard security. La France a une carte à jouer pour se positionner plus résolument sur ces questions, en complément de l’approche plus militaire des États-Unis. Paris doit donc s’efforcer de déployer une stratégie véritablement holistique en déclinant l’Indo-Pacifique au sein des différents ministères et agences publiques. La France doit également impliquer davantage ses territoires d’outre-mer, acteurs de premier plan, dans la formulation de son approche indopacifique.
Enfin la stratégie française doit s’inscrire au sein de la nouvelle approche indopacifique de l’Union européenne, démultiplicateur de puissance et d’influence. La stratégie européenne doit, pour convaincre, être mise en œuvre de manière concrète le plus rapidement possible, être lisible et visible. Approche consensuelle, elle doit également être portée de manière plus ambitieuse par une coalition de pays volontaires. La France se doit d’y jouer un rôle central. Pour cela, Paris doit s’assurer que son positionnement est bien compris et accepté par ses partenaires européens.