Les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont continué à augmenter en 2022, les politiques en vigueur mettant le monde sur la voie d’une augmentation de 2,5 °C de la température d’ici la fin du siècle. Le changement climatique – marqué par la montée des tensions entre le Nord et le Sud – est de plus en plus considéré comme une question de compétition technologique et industrielle entre la Chine et les États-Unis, plutôt qu’un domaine de coopération en faveur du bien commun. La Chine est le principal émetteur de gaz à effet de serre au monde (presque 31 % des émissions en 2021) et la deuxième nation émettrice après les États-Unis en termes d’émissions cumulées de CO2. Elle est responsable de 60 % de l’augmentation de ces émissions entre 2010 et 2019. Durant la période 1990-2020, les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis ont été réduites de 7,3 %, et le pays était responsable de 13,5 % des émissions mondiales en 2021. Par comparaison, l’Union européenne (UE) est parvenue à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 33 % durant la même période et était responsable d’environ 7,5 % des émissions de GES en 2021.
Les vues et les intérêts de ces trois grands acteurs ne sont pas convergents. Les États-Unis veulent décarboner pour mener la course technologique engagée par la Chine avec son programme Made in China 2025, et se découpler ainsi des usines chinoises de production des technologies propres. Pour sa part, l’UE essaye d’accélérer sa transition énergétique et a par ailleurs réussi à faire mieux que les deux autres en matière de décarbonation – tout en privilégiant cependant les questions de politique industrielle et de compétitivité récemment. Néanmoins, la nécessité d’agir pour le climat et pour la protection environnementale n’a jamais été aussi forte : la Chine et les États-Unis sont impliqués dans les discussions mondiales, ils ont déjà fait des progrès ensemble par le passé, et leurs efforts peuvent et doivent être intensifiés.
Des approches fondamentalement différentes de l’action contre le changement climatique
La Chine s’est gardée de s’engager à atteindre des objectifs ambitieux pour le climat (sa politique « 1+N » vise à parvenir au pic d’émissions avant 2030 et à devenir neutre en carbone avant 2060, mais aucun engagement clair n’a été pris pour après 2030). Pour la Chine, renforcer la sécurité énergétique et assurer la stabilité sociale est plus important que de décarboner rapidement (par exemple, en 2020, la Chine avait environ 250 GW de capacités de production d’électricité à partir du charbon en phase de développement).
En même temps, la Chine a massivement subventionné et déployé des technologies bas-carbone sur son sol, rendant la transformation énergétique mondiale largement dépendante de celles-ci. Le monde, et surtout les États-Unis et l’UE, sont en train de se réveiller devant une réalité où la Chine a l’avantage d’avoir été la première à élaborer une politique industrielle « verte » à très grande échelle.
De leur côté, les États-Unis oscillent entre avancées et reculs en termes d’ambition pour le climat en fonction de la politique intérieure (nonratification du protocole de Kyoto ; engagement fluctuant vis-à-vis de l’accord de Paris ; non-ratification de la Convention sur la diversité biologique, etc.). Cependant, on peut remarquer une détermination bipartisane à rester en tête de la course technologique (loi sur les puces électroniques (CHIPS Act ; loi sur l’investissement dans les infrastructures et les emplois (Infrastructure Investment and Jobs Act), loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act)) et à garder un avantage concurrentiel sur la Chine, en mettant en place d’importants crédits d’impôt pour encourager les investissements, ainsi que des barrières commerciales et des politiques restrictives de contrôle des exportations.
L’UE a adopté une approche largement normative pour lutter contre le changement climatique, à travers une régulation constante des émissions de CO2 (notamment grâce à une tarification effective de ce dernier), en imposant l’efficacité énergétique et des obligations concernant le déploiement des énergies renouvelables.
Son engagement dans l’action pour le climat s’est accentué progressivement grâce au Pacte vert pour l’Europe, à la loi européenne sur le climat, à l’ensemble de propositions Fit for 55 et s’est encore renforcé durant la crise énergétique causée par la guerre en Ukraine (REPowerEU). En comparaison avec l’approche de découplage des États-Unis, l’UE développe vis-à-vis de la Chine une approche de « réduction des risques », plus en accord avec ses spécificités.
Dans l’état actuel des choses, une exemption totale des États-Unis et de la Chine du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), récemment adopté par l’UE, serait difficilement justifiable. La Chine a pris des mesures importantes au niveau national, en mettant en place un système d’échange de quotas d’émissions (SEQE – dont le lancement se fait en douceur et se limite au secteur de la production d’électricité), un plan pour améliorer l’efficacité de l’énergie et des ressources dans l’industrie, des normes pour les émissions de CO2 dans les bâtiments, ainsi que des objectifs concernant la production d’électricité à partir de combustibles non fossiles, les véhicules électriques et la mobilité hydrogène. Néanmoins, le monde demeure incertain quant à la trajectoire concrète de décarbonisation empruntée par la Chine. La même incertitude s’étend au chemin choisi par les États-Unis. Malgré un objectif de réduction des émissions de 50-52 % avant 2030, et d’une production de 100 % d’électricité non polluante d’ici 2035, les politiques en place consistent majoritairement en incitations pour la production et la consommation nationales, ignorant toujours la tarification effective du CO2, et laissant le taux de réduction des émissions insuffisant pour atteindre l’objectif de 1,5 °C.
La loi américaine sur la réduction de l’inflation, la réaction de l’Europe à celle-ci et la décision de la Chine de bannir les exportations à l’étranger de plusieurs technologies relatives aux panneaux solaires (imitant ce qu’avaient fait les États-Unis pour les semi-conducteurs) ont confiné l’action pour le climat à une question de politique industrielle et de protectionnisme vert. Cette concentration excessive sur les politiques industrielles mettra en péril la recherche de réponses internationales à des questions fondamentales, telles que la création d’un système mondial de tarification du CO2, des normes réglementaires de décarbonisation des industries, ou l’optimisation de l’utilisation de l’énergie et des ressources, etc.
UE : remettre le sens du bien commun au cœur de l’action pour le climat
L’UE doit avoir un discours clair, basé sur le fait qu’elle est le seul émetteur important qui ait des résultats effectifs à ce stade et un plan d’action global de lutte contre le changement climatique. Tout en continuant d’afficher une attitude plus ferme (règlement relatif aux subventions étrangères, etc.), elle doit développer un dialogue critique avec la Chine sur des questions telles que le renforcement de la transparence et des standards garantissant des conditions de concurrence équitables, l’adoption de standards de réduction de la consommation d’énergie dans le secteur numérique, l’utilisation de carburants durables pour l’aviation, la lutte contre la déforestation importée et les émissions de méthane. L’UE devrait aussi orienter son financement de la stratégie Global Gateway vers des partenariats avec des acteurs clés dans le domaine des matières premières et de la production d’énergie propre, encourager la mise en place de partenariats pour une transition énergétique juste (JETP) et jouer un rôle moteur dans l’instauration d’une taxonomie verte internationale et des règles pour le commerce vert. L’UE doit enfin s’imposer comme une force internationale dans la promotion de la sobriété en matière d’énergie et de ressources, tout particulièrement lors des discussions avec de plus gros consommateurs tels que les États-Unis.