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Chine/États-Unis : l'Europe en déséquilibre

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Rivalité commerciale sino-américaine : la pression monte pour l’Union européenne

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Françoise Nicolas

Directrice du Centre Asie de l'Ifri

Contrairement à ce que l’on aurait pu espérer avec l’arrivée au pouvoir d’une administration démocrate, la position américaine vis-à-vis de la Chine n’a cessé de se durcir sous la présidence Biden. Même si le style semble plus policé, le fond demeure : la Chine est un rival qui risque de mettre en péril la suprématie américaine dans de nombreux domaines et il ne saurait être question d’accepter cet état de fait. En matière commerciale, l’exacerbation de la rivalité s’est notamment traduite par la mise en œuvre de mesures de nature clairement protectionniste, qui s’inscrivent en violation flagrante de la logique libérale. Le recours à des clauses de contenu local en constitue sans doute l’illustration la plus claire.

Un interventionnisme américain toujours plus décomplexé

La loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act – IRA) d’août 2022 reflète cette dérive du pouvoir américain en quête d’une protection absolue de son industrie, quitte à se mettre en faute du point de vue des règles multilatérales et de s’aliéner certains partenaires ou alliés. La loi prévoit de débloquer plusieurs milliards de dollars (369 au total) en subventions industrielles et avantages fiscaux pour, entre autres, soutenir les industries « vertes » américaines. Ainsi, les ménages américains bénéficient d'un crédit d'impôt de 7500 dollars pour l'achat de véhicules électriques neufs de fabrication américaine (4000 dollars pour les véhicules d'occasion). Outre la promotion d’une économie verte, l’objectif est d’encourager les relocalisations des chaînes de valeur hors de Chine et vers le territoire américain, ce qui explique l’intégration de règles de contenu local : seuls les produits fabriqués aux États-Unis avec des intrants américains feront l’objet de subventions.

Le 7 octobre 2022, les États-Unis ont franchi un cap dans leurs efforts visant à enrayer les éventuels progrès des industriels chinois, en annonçant une nouvelle vague de restrictions aux exportations qui privent purement et simplement les entreprises chinoises d’accès à des semi-conducteurs haut de gamme, indispensables au développement des technologies d’avenir, particulièrement l’intelligence artificielle et les supercalculateurs. Jusque-là, les pressions s’exerçaient sur certaines entreprises précises (Huawei) et les restrictions portaient sur des produits à usage militaire. Désormais les contrôles à l’exportation visent un pays en particulier, la Chine, et portent sur des technologies commerciales. Il ne faut pas s’y tromper, l’objectif est clairement d’étouffer les capacités technologiques de la Chine et non pas seulement d’affaiblir son industrie de défense. D’ailleurs, les déclarations officielles accréditent cette interprétation. Selon les propres termes du conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, il ne s’agit plus pour les États-Unis de simplement conserver « une ou deux générations d’avance » sur la Chine, mais littéralement de bloquer sa capacité d’innovation dans certains secteurs clé comme celui des semi-conducteurs.

La Chine n’a pas manqué de s’insurger contre ces mesures qu’elle juge « 100 % protectionnistes, 100 % égoïstes, 100 % unilatérales » et « en grave violation du principe de libre-échange », pour reprendre les termes du directeur du Bureau central des Affaires étrangères (le chef de la diplomatie chinoise), Wang Yi, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, le 18 février 2023. Fin 2022, Pékin avait déjà dénoncé les restrictions américaines sur l’exportation de semi-conducteurs et déposé une procédure auprès de l’Organisation mondiale du commerce pour non-respect des règles du libre-échange.

L’Union Européenne, victime collatérale

L’exacerbation des tensions entre la Chine et les États-Unis ne peut laisser aucun partenaire indifférent, dans la mesure où nombre des politiques américaines évoquées les impactent directement. À l’évidence, les États-Unis ne se soucient pas des éventuels dommages collatéraux que leurs politiques protectionnistes peuvent entraîner pour leurs propres alliés (Corée, Japon et Union européenne).

L'IRA a été accueillie avec scepticisme et inquiétude par les partenaires et alliés de Washington, qui voient dans ces mesures discriminatoires des distorsions majeures du jeu concurrentiel. En privilégiant les productions made in America, ces dispositions pénalisent les investisseurs étrangers sur le territoire américain qui s’approvisionnent en produits intermédiaires auprès de leur pays d’origine. N’ayant pas accès aux subventions, les entreprises européennes (mais aussi coréennes ou japonaises), se trouvent défavorisées par rapport à leurs concurrents américains. En outre, les Européens craignent des délocalisations massives d'entreprises européennes ou américaines ayant investi en Europe et qui préfèreront fabriquer sur le sol américain pour pouvoir bénéficier de ces aides.

Par ailleurs, le caractère extraterritorial des restrictions aux exportations annoncées le 7 octobre dernier limite les marges de manœuvre des partenaires des États-Unis. En effet, ces nouvelles restrictions ne concernent plus simplement les entreprises américaines, mais s’appliquent à toute entreprise utilisant des intrants américains dans leur processus de production (propriété intellectuelle, logiciel de design, etc.). En d’autres termes, les États-Unis interdisent de facto à certaines entreprises étrangères (notamment européennes) de commercer librement avec leurs partenaires chinois.

Quelle réponse possible pour l’Union européenne ?

Dans ces conditions, plusieurs options s’ouvrent à l’Union Européenne. La première serait de s’engager dans une guerre des subventions avec les États-Unis, ce qui serait toutefois stérile car très coûteux.
La deuxième est d’encourager les efforts de développement des capacités de production européennes, ce qui est en partie l’objectif de la politique d’autonomie stratégique, mais la difficulté tient à l’importance des interdépendances, notamment dans le secteur des semi-conducteurs haut de gamme, qui excluent toute possibilité d’autonomisation effective.
À défaut de pouvoir faire appel aux mécanismes de règlement des différends multilatéraux, la troisième option, sans doute la plus réaliste, est de créer les conditions d’un dialogue avec les États-Unis, avec comme objectif non pas de s’aliéner la Chine et de l’isoler complètement mais de réduire les dépendances à son égard afin de limiter le potentiel de vulnérabilités. La mise en place du Conseil du Commerce et des Technologies États-Unis-Union européenne devrait permettre de progresser en ce sens, à condition toutefois que les États-Unis fassent preuve de bonne volonté, ce qui reste à prouver.

Chiffre clé :

  1. La loi sur la réduction de l’inflation prévoit de débloquer 369 milliards de dollars en subventions industrielles et avantages fiscaux (ex. pour soutenir les industries « vertes » américaines).

  2. Les ménages américains bénéficient d'un crédit d'impôt de 7500 dollars pour l'achat de véhicules électriques neufs de fabrication américaine, 4000 dollars pour les véhicules d'occasion.

Recommandation générale de niveau politico-stratégique pour l'UE

Créer les conditions d’un dialogue avec les Etats-Unis avec comme objectif non pas de s’aliéner la Chine et de l’isoler complètement mais de réduire les dépendances à son égard afin de limiter le potentiel de vulnérabilités. La mise en place du Conseil du Commerce et des Technologies Etats-Unis-Union européenne devrait permettre de progresser en ce sens, à condition toutefois que les Etats-Unis fassent preuve de bonne volonté, ce qui reste à prouver.