L’agenda technologique de l’administration Biden et du Congrès prévoit le renforcement de la régulation des entreprises du numérique, tout en donnant la priorité à la compétition technologique avec la Chine. Ces deux tendances présentent à la fois de nouvelles opportunités et des contraintes pour la coopération transatlantique. Sur ces enjeux technologiques, le prochain chef d’État français ne pourra pas tant peser sur le plan bilatéral qu’au sein de l’Union européenne (UE). Vers quels dossiers la France doit-elle orienter l’effort européen ?
Réguler le secteur du numérique
Ne disposant que d’une législation disparate, les États-Unis ont un modèle de gouvernance des données beaucoup moins protecteur des internautes que l’UE et la Chine. De récents projets de loi ont néanmoins ravivé les débats sur une hypothétique grande loi fédérale de protection des données individuelles. Une telle avancée serait de nature à rassurer les Européens qui, depuis l’invalidation en juillet 2020 de l’accord de transfert des données entre les États-Unis et l’UE (le Privacy Shield), exigent une meilleure protection contre certaines dispositions intrusives du droit américain. Cependant, des initiatives limitées ciblant les abus des entreprises (plutôt que des autorités publiques) semblent plus probables qu’une législation fédérale d’ampleur. Dans les négociations en cours du nouveau Privacy Shield, l’UE doit donc peser pour obtenir des garanties américaines convaincantes concernant la protection des données européennes.
Au-delà des données, c’est tout le secteur de la « Big Tech » qui est visé par les velléités régulatrices de la gauche démocrate comme de l’opposition républicaine. Elles s’articulent autour de trois objectifs. D’abord, taxer plus justement les multinationales, en particulier les plateformes du numérique. Ensuite, améliorer la régulation des contenus en ligne. Enfin, la lutte contre les pratiques jugées monopolistiques des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) s’est déjà traduite par des dépôts de projets de loi antitrust et par la nomination à des postes clés de personnalités favorables à une application plus stricte de la législation contre les monopoles.
Quelle coopération transatlantique ?
Ces objectifs américains sont proches de ceux défendus par les Européens depuis plusieurs années, ouvrant la voie à de nouvelles coopérations, comme l’accord conclu dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’impôt minimum mondial de 15 % sur les multinationales. Toutefois, les États-Unis jugent les démarches européennes (« taxe GAFA » française et projets de règlements européens sur les services et les marchés numériques) protectionnistes et discriminatoires envers les entreprises américaines. Dans leur désir de régulation à présent partagé, l’UE et les États-Unis veulent tous deux avoir le dernier mot. Les négociations au sein du récent Conseil du commerce et de la technologie (TTC) seront donc décisives pour améliorer la coordination transatlantique sur le sujet.
Le TTC illustre plus largement la volonté de l’administration Biden de renforcer la coopération transatlantique sur les standards, le contrôle des exportations et investissements, ainsi que les chaînes d’approvisionnement. Cette volonté répond à la seconde priorité qui dicte actuellement l’agenda technologique américain : la compétition stratégique avec la Chine. Au-delà des décisions visant directement la Chine (barrières douanières ou sanctions), cette priorité justifie tant les grands projets d’investissement dans la recherche et développement que la politique américaine envers ses alliés. Si celle-ci invite à davantage de coopération, elle se caractérise également par une pression croissante incitant les Européens à s’aligner sur les objectifs américains de « sécurisation » des chaînes d’approvisionnement et des réseaux, et de restriction des transferts de technologie vers la Chine.
À court terme, certains dossiers comme le nouveau Privacy Shield et la taxation des GAFAM semblent proches d’une résolution. À moyen terme, sans être alignée sur la politique américaine vis-à-vis de la Chine, l’UE partage certaines préoccupations et pourrait renforcer sa coopération avec les États-Unis en matière de standards ou de contrôle des investissements étrangers. La difficulté pour la France sera de réussir à promouvoir un consensus entre États membres qui soit favorable aux intérêts de l’UE.